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L'As mène et l'émoi passe
27 février 2010

Them and us and me and you

Il est comme ces petits vieux qui ont leurs habitudes. Qui s’ancrent à une table du PMU et qui décident que pour les vingt cinq prochaines années c’est ici qu’ils viendront cuver leur retraite glorieuse. Ici et pas ailleurs et puis merde aux petits jeunes qui viendront draguer leur serveuse. Oui au fond il est comme eux. Tous les jours sur les coups de 17h il vient s’asseoir ici pour regarder la marée humaine venir se fracasser contre les portes du métro en vagues successives. Il est là, dans son siège, la tête posée mollement contre un distributeur, les jambes lâches comme ces enfants épuisés dans le bac à fable. Ses écouteurs sont vissés sur ses oreilles, distillant une musique qui importe peu. Les Spécials ou ce genre de chose. Il se nourrit avidement de ces gens pressés, de leurs tics désagréables et de leur malaise au moment de se coller les uns aux autres. « Pardonnez, je ne voulais pas » «Oui, tout à fait c’est ma main, elle vous gène ? » « Mais tenez-vous donc à la barre » Il connaît leurs excuses milles fois répétées. Il ne prend jamais le métro lui. Il n’aime pas ça. Et puis ça serait bête, il habite juste à coté. Jamais le métro donc. Mais parfois il écoute leurs histoires. Il y a cette femme qui parle de son mari, parti en lui laissant seulement une paire de chaussures. Il y a ces adolescentes qui parlent de leur amie plus vieille mais déjà enterrée. Qu’elle n’aurait pas supporté la perte de son homme paraît-il. C’est vrai qu’on meurt souvent à cet âge là. Le vieux le disait dans sa chanson. Il écoute parfois cette chanson et d’autres, ça couvre le bruit des annonces : « En raison de grèves le trafic sera perturbé jusqu'à l’année prochaine, veuillez utiliser les correspondances qui ne sont actuellement pas disponibles » Il n’écoute pas. Jamais. Il se contente de regarder ces gens tâtonner, faire tentative de vie tout en restant seuls avec les autres. Et parfois il tombe amoureux. Souvent même. La dernière fois c’était une jeune femme mal fagotée, la bretelle de sa robe dégringolait le long de son épaule gauche tandis que son sourire peinait à s’exprimer entre ses lèvres rose-à-lévrissées. Elle avait un joli nez. Oui c’est ça qu’il avait bien aimé. Sa façon de se tenir comme en équilibre sur un fil aussi. Ça et son nez. Il fait toujours des fixations étranges sur les parties de leurs corps. Pas du genre à imaginer lui, il se contente de tomber amoureux de ce qu’il voit. Un grain de beauté à la lisière d’un décolleté, une jolie cheville, des petites mains prolongées par un livre on ne peut plus sérieux sur la philosophie de la machine. Non, en fait elles n’ont jamais de livre. Et souvent les poings crispés, comme pour combattre cette marée humaine qui de dos ou de profil n’a jamais de face. C’est toujours le même genre de femmes. Des femmes distraites qui font disparaître la mornitude du métro derrière des lacs aux reflets lugubres. Souvent elles sont à portée de bras, à portée de main, à portée de sa main. Mais jamais il ne fait de geste en avant pour les attraper. Il n’y pense pas. Ca ne dure jamais bien longtemps de toutes façons. Il est là, assis, il les dévore du regard, leur invente une vie. Il se dit que peut-être elles ont des petits-amis, des peines de cœur, des livres et pleins de points communs avec lui. Non, ça ne dure jamais. Et puis il les laisse partir. Les laisse s’élancer en avant d’un pas résolu, avant même que le train n’arrive. Un coup de foudre, tout bêtement. Suivit d’un coup de tonnerre, puis une annonce : « En raison de la présence de personne sur les voies, le trafic sera fortement perturbé » Dire qu’il l’aimait déjà. C’est bête. Ça lui passera.
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