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L'As mène et l'émoi passe

30 avril 2010

It's real, and sometimes it fuckin' hurts

Mais pourquoi fallait-il que les femmes compliquent toujours tout ? Oui elle était partie. En définitive c’est ce qu’elles font toutes. Un jour ou l’autre. Partir. Seule la manière diffère. Il y a celle qui a tué dans l’œuf et se barre avec les jolies coquilles. Celle qui vous met une chanson comme ça, pour se donner un coté mélomane. Il y a celle qui part sans prévenir, vous laissant seul un matin avec vos yeux pour pleurer et une paire de Stilletos vernis taille 36 dont vous ne savez pas quoi faire. Et il y a les autres. Il se fit l’amère réflexion qu’au fond, elles faisaient toutes partie des autres. Et comme toutes les autres il était déjà entrain de l’oublier. Enfin, sa tête commençait sérieusement à déconner. Il la voyait sortir de la cuisine en s’essuyant les mains. Elle s’était adossée contre le montant de la porte et l’avait longuement regardé. Là où le bat blessait actuellement c’est que son visage était flou, variable. Il lui prêtait les fossettes d’une autre, des yeux verts qui n’étaient pas les siens. Oui, il commençait sérieusement à déconner. Même sa main qu’il portait sous son nez en devenait fumeuse, aérienne. Putain, c’est donc ça qu’on ressent quand ça arrive. Il ne l’avait vraiment pas vu venir cette fois. Comme on ne remarque pas les infiltrations dans la tapisserie avant que celle ci ne soit complètement pourrie, recroquevillée sur elle-même à vomir ce qui jadis étaient des fleurs. D’ailleurs il venait officiellement d’oublier comment il l’avait connue. Ça ne devait de toutes façons pas être très original. Probablement une rue pas trop passante, dans un café, entourés d’inconnus. Elle avait une silhouette fine. Peut-être. Elle n’était plus là et ça, il le ressentait bien. Ce jour là elle avait su qu’il avait un préservatif dans la poche gauche de son jean. Elle lui avait montré ses cuisses mal dissimulées par une jupe. Bien qu’en vérité il ne soit plus vraiment sur que ce soit-elle qui ce jour là avait sous-entendu qu’eux deux, pour une journée, une heure, une vie ça pouvait marcher. Mais oui, ça n’avait plus d’importance, et ça, il l’avait déjà dit. Elle venait de partir. Ils avaient eut une conversation à propos du cinéma anglais avant. Et elle avait allumé une cigarette. Non. Non. Ça ne collait pas. Elle ne pouvait pas s’être allumée une cigarette puisqu’elle détestait son haleine qui trop souvent exhalait le tabac. Il s’en alluma une d’ailleurs, la cramant en souvenir de celle qui n’aimait pas ça. C’était ironiquement plaisant et la première bouffée lui extirpa un crachat furieux. Merde. Il commençait vraiment à ressentir le manque en fait. Le calendrier était bloqué au dimanche et elle s’était barrée en laissant une valise pleine de certitudes. Elle ne reviendrait pas, non. Oh non, elles ne reviennent jamais. Et ça vaut mieux. Ça leur évite de vous voir bourré comme un coing et seul. Seul et pestant contre les femmes. Toutes les femmes. Il n’était pas vraiment d’humeur à se plaindre cependant. Tout juste était-il d’humeur à lui reprocher le choix de la couleur du salon. Parce que oui, ils l’avaient peint ensemble ce salon. C’était quelque chose pour lui. Quelque chose qui lui faisait croire que ça allait durer toute la vie. Il était naïf. En fait ça ne dure jamais que jusqu’au moment ou elles se lassent de la couleur des murs. Plus les choses empiraient et plus il devenait lucide. Quelle acuité magnifique ! Elle était au moins du niveau de celle qui l’empêchait de se cogner contre les murs au matin. Elle-même supérieur à celle qui lui faisait éviter les coins fourbes des meubles. Il se serait bien cogné la tête contre un mur pour évacuer le vertige qui commençait à s’imposer à lui, celui qui faisait tourner les sus-nommés meubles et donnait l’impression que leurs angles n’étaient pas droits. Allait-elle s’endormir toute seule, habillée dans ses draps froids ? L’avait-elle déjà remplacé ? Oui, il pensait à elle. C’est vrai. Il avait beau essayer de faire semblant, elle finissait toujours par revenir. Comme un mauvais refrain, comme une mauvaise herbe. Comme une vieille habitude. Il se trouva romantique, même si dans la pratique c’était la merde noire, la croix et la bannière. Il se souvenait. Un peu. Il était resté silencieux et elle avait balancé un torchon dans sa direction. Elle cachait quelque chose en dessous. Elle avait ensuite glissé deux doigts sous son menton. Comme pour l’embrasser. Elle s’était plongée dans ses yeux. Et lui aussi d’ailleurs. Dans les siens à elle, bien sûr. Ils n’avaient pas parlé. C’était inutile. Les dialogues c’est toujours bien dans les films, pour faire pleurer dans les chaumières. Et très honnêtement il n’avait pas envie de pleurer, il avait déjà suffisamment mal comme ça. Laissons la médiocrité aux autres. Aux faibles. Ceux qui aiment. Ceux qui détestent. Elle était douée pour les deux en fait. Pour aimer, pour haïr. A se faire aimer, à se faire honnir. Il fallait lui reconnaître ce talent. Sa capacité à jouer sur tous les tableaux. C’était une femme admirable. Et comme toutes les femmes admirables qui s’en vont, elle ne laissait que de l’incompréhension. Il ne comprenait pas. Ne comprenait pas pourquoi après lui avoir cassé les couilles, après lui avoir brisé le cœur, il avait fallu qu’elle piétine les morceaux en lui collant une balle dans le ventre. Non, définitivement, il ne comprenait pas.
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18 avril 2010

Déjà l'automne et ce n'est pas fini

C’était une vieille maison à flanc de falaise. Le genre aux fenêtres plongeant sur la mer, couverte par un toit vertigineux en suspension au-dessus du vide, au-dessous du ciel. Le genre de maison accessible par un chemin escarpé bordé par des plantes ombellifères surgissant d’un fossé afin de grappiller des secondes de vie sur un chemin in-pratiqué, où les mollets avec qui flirter étaient plus que rares. Le genre de maison dont on disait facilement qu’elle était au mieux vide, au pire hantée et qu’un jour elle finirait bien par faire le grand saut ; par plonger dans la mer et qu’on en conclurait bêtement qu’elle n’avait jamais existée. Une barrière blanche parallèle à l’horizon était fichée devant celle-ci, encadrant un jardin d’herbe grasse, des par-terres d’Orchidées, d’Hoyas et de Céropégias mal entretenus et un vélo sans roues à moitié enfoncé dans le sol, attendant le retour des beaux jours pour fleurir de nouveau. Des mouettes venaient fréquemment se poser sur la barrière, hurlant à la mort avant d’être chassée d’un revers de main exsangue par la propriétaire des lieux. Parce que oui, cette maison avait une propriétaire. Une sorte d’animal en cage qui ne faisait que tourner, allant du perron jusqu'à la barrière et de la barrière jusqu’au perron, dégoisant avec les oiseaux fuyards avant de revenir caresser la selle de son vélo qui ne donnait toujours pas de fruits. C’était une femme aux idées tristes. Au maquillage triste. Tout l’était chez elle jusqu’aux crevasses sur son front qui s’évertuaient à lui donner une quarantaine d’années alors qu’elle ne devait même pas avoir subit trente printemps. Ses yeux étaient couleur indécision et ses mains calleuses de s’agripper au vide qui depuis quelques années s’était imposé comme un co-locataire de choix. Et même si celui ci s’était révélé pesant après avoir été discret un temps, elle n’arrivait résolument pas à le mettre dehors. Vivant avec, comme on vit avec de vieilles habitudes. Résolue. Un brin fataliste. En ce début d’après midi, elle avait enfilé une chemise d’homme pour protéger ses épaules carrées du froid saisissant, et puis elle était restée là, à regarder. A regarder les vagues s’ébattrent avec les récifs et les récifs jouer sans cesse ce jeu de l’amant imperturbable et inaccessible qui vous brise. Parfois des points blancs serpentaient à l’horizon, laissant des traces blanches sur la toile bleue et oscillante. Oui, elle n’avait rien d’autre à faire que de regarder la mer. C’était ça ou faire du tricot, activité périlleuse qu’elle maîtrisait toujours aussi mal après des années de pratique. Même si le problème n’était pas tant son manque de technique que son manque de goût. Elle avait fait cinq pulls. En douze ans. C’était pas mal. Ça faisait presque un pull tous les deux ans. Des entrelacs de laine colorés absolument pas assortis. Un peu de vert. Du bleu, comme s’il n’y en avait pas assez dehors, Ça l’occupait. Un motif moche ressemblant à un enfant mort heureux. Et puis elle n’avait pas vraiment envie de sortir de chez elle. Dès qu’ils la voyaient les gens du village se disaient « C’est la veuve » ou « La dernière femme de Marin abandonnée des hommes» Femme de marin elle l’était. Abandonnée sans doutes. Veuve, elle n’en avait aucune idée. Pour le savoir faudrait recevoir un corps ou une lettre disant « Chérie, je suis inopinément décédé au large des Iles Sandwichs, tu me manqueras, je t’aime » Quelque chose comme ça. Mais depuis douze ans elle n’avait rien reçu. Pas même une lettre lui promettant un retour au printemps. De futiles paroles telles-que « au printemps tu verras je serais de retour » et autres foutaises dans le genre. Non, depuis douze ans il ne s’était simplement rien passé. Pas de bateau qui aurait oublié de changer de pavillon. Pas de bateau tout court d’ailleurs et si parfois elle avait eut l’envie de plonger dans la mer pour se changer en martin-pécheur, elle n’en avait jamais rien fait. Il n y a guère que dans les mythes que les naufrages vous donnent des ailes. Et puis une fois qu’elle s’était suffisamment abîmé les yeux, une fois que les limites du ciel et de la mer devenaient archaïques, alors seulement à ce moment là elle rentrait ; Grisée par l’absence et aveuglée par ce qu’elle ne pouvait pas ne pas voir. Les murs se mettaient alors à tanguer, la demeure chavirait de gauche à droite et quand son cœur n’était pas trop lourd, elle s’imaginait au large, sur ce bateau. Ce bateau qui battu par les flots n’aurait pas sombré. Oh ça devenait de plus en plus rare tout de même. Et tout ceci ne se terminait généralement que par un mal de tête et des prunelles irritées. C’était moche. Il lui fallait un temps avant de retrouver vraiment ses repères. De moins en moins de temps. Les meubles se solidifiaient de plus en plus vite, le plafond faisait de moins en moins de vague et ses pieds s’accordaient de plus en plus vite sur la meilleure façon de tenir le cap. Elle le savait, on s’habitue à tout. Tout comme on ne s’habitue au rien également. Elle savait elle pourtant qu’elle y pensait de moins en moins. Qu’il y’avait là dedans plus d’habitude et de résignation que d’espoir. Elle le faisait. Tous les jours. Comme d’autres vont au bistrot ou fleurir une tombe. C’était comme respirer. Encore que, elle n’avait jamais vraiment essayé d’arrêter. De respirer non plus d’ailleurs. Et quand cette ivresse s’en était allée, une fois qu’elle se retrouvait seul à frissonner sous sa chemise d’homme, qu’elle réalisait que la journée était encore loin d’être terminée, alors à ce moment là elle allait s’asseoir devant sa fenêtre, les mains sur les cuisses et un petit sourire triste, comme tout chez elle. Elle aurait pu peindre ce paysage. Elle avait fait de la peinture dans sa prime jeunesse. Peignant des carcasses de bateaux qu’elle n’avait jamais vus. Elle aurait pu le peindre ce paysage oui. Cette langue d’herbe qui plongeaient dans le vide, cette séparation brutale comme une fissure à l’horizon. Elle aurait pu. En faire des poèmes également, même si elle n’avait jamais vraiment été douée pour faire sonner les mots entre eux. Pas vraiment du genre bavarde. Pas vraiment, tout court d’ailleurs. Au lieu de tout ça elle restait devant sa fenêtre, silencieuse, esquissant de rares sourires les fois ou elle s’imaginait, courrant dans l’herbe, les enfants qu’elle n’aurait jamais.
9 mars 2010

Et des souvenirs quelque part au large

Elle contemplait le brouillard de guerre se coucher sur la ligne bleutée de l’horizon. D’ici ça donnait l’impression d’un couvercle en fer posé sur une casserole pleine d’une eau tranquille. C’était joli. Parfois des triangles blancs dérivaient lascivement avant de disparaître derrière une vague ou un morceau de nuage. C’était la fin de l’été et subsistaient encore quelques touristes qui s’arrêtaient à la terrasse du restaurant, histoire d’embarquer dans leurs valises, les derniers souvenirs bradés d’un été pesant à crever. Fin de journée. Il ne restait plus grand monde d’ailleurs. Un allemand engoncé dans un costume brisant les clichés et deux petits amoureux italiens les assumant. Elle avait donc le temps de se tourner vers la plage, entre deux cafés et l’addition. Le temps de laisser la sueur du rush de l’après midi se sécher sur sa peau au grain épais. Capter un brin de vent aussi et oublier qu’elle avait encore attrapé un coup de soleil, comme une idiote. Là, sur ses épaules dénudées, comme une touriste. Pestant avec dignité, elle encaissa les trois clients sus-mentionnés, avant de s’octroyer une pause. La grosse femme derrière le bar insista pour qu’elle ne tarde pas trop ; qu’il fallait encore faire un brin de ménage et se préparer pour le service du soir. Celui où les Japonais venaient fêter le retour prochain des chrysanthèmes en pleurant les pivoines. Elle les trouvait drôle ces japonais. Surtout les Japonaises, électrisées pour pas grand chose et perdues dans un pays à cent milles lieux de leurs traditions. De toutes manières elle serait bien pareille là bas. Elle qui n’avait jamais été foutue de faire infuser du thé ou de reconnaître un Iris d’un Paulownia. Elle laissa donc la patronne s’occuper du reste, se dirigeant prestement sur la plage, via quelques marches en bois qui crissèrent sous la plante de ses pieds délestés de ses sandales légères. Il n’y avait pas de mouettes dans le ciel et pas de touristes sur la plage. Juste quelques galets si polis qu’ils n’osaient pas parler. Pour leur tenir compagnie, il ne subsistait qu’un petit vieux, assis sur ses talons et qui péchait sur le fronton de mer écumeux. Il avait un petit panier vide avec quelques gâteaux moitié mâchonnés par le sable et moitié détruits par le ressac. Elle plia ses longues jambes et s’installa dans le sable à côté de lui, enfouissant ses orteils à moitié, les laissant parfois réapparaître comme une petite troupe de mollusques diaphanes. La jeune femme avait posé une bouteille d’eau fraîche près du vieil homme. Bouteille qu’il envisagea, qu’il effleura d’une main usée avant de revenir s’occuper de sa canne à pêche : -Vous devriez boire, ça fait des heures que vous êtes là. -Je n’ai pas d’argent. -C’est la maison qui offre… -Oh, vous êtes bien aimable. Il contempla un instant ses cuisses dorées avant de revenir se fixer sur les vagues et les silhouettes floues qui ondoyaient au-dessous. Incapable toutefois de savoir s’il s’agissait d’un poisson narquois ou de cailloux bringuebalés par les vagues. -Vous n’avez pas de fil à votre canne… -Je sais, mon petit, je sais. -Pourquoi ? -Pour que ce soit une vraie surprise le jour ou j’attraperais quelque chose ! -… -Oui, pourquoi me contenter de quelques moments de joie avec des petits poissons obtenus sans fierté, quand je peux attraper le plus gros d’entre eux sans utiliser de fil ? Le jour ou ça arrivera, je serais l’homme le plus heureux du monde. -Vous essayez depuis longtemps ? -Quatre milles six cent quatre vingt six bateaux. -C’est beaucoup… -Pour vous oui, mais vous êtes bien jeune et encore bien jolie. Pour moi ce n’est qu’une poignée de jours. Il saisit un peu de sable pour illustrer sa parole et le laissa filer au vent… ou plutôt le laissa tomber sur la peau cuivrée de la demoiselle, qui ne cilla pas. Elle avait maintenant ses mains enfoncées dans le sable, et le broyait au creux de ses paumes de manière répétitive. On aurait pu dire qu’elle avait du vent dans les cheveux mais ce n’était pas le cas. Le vent était tombé, la mer était terriblement calme et son chignon tenait bon la barre. -Qu’est ce que vous ferez ce jour là ? -Je ne sais pas. Je n’aime pas le poisson et je n’ai pas de femme pour le cuisiner. -Le remettre à la mer ? -Je pense. Oh mon petit, je regrette de ne pas avoir eu d’enfants… -Pour leur apprendre à pécher ? -Pour leur apprendre la patience. -Vous vous feriez du mauvais sang… On se fait toujours du mauvais sang pour ses enfants. -Oh… pécher un poisson ou éduquer un enfant, ça ne doit pas être si différent. -Rapport au gras ? -Rapport au cœur. On s’y attache et puis un jour il faut les laisser partir… -Ou les manger. -Ou les manger oui. Le regard de la jeune femme s’était maintenant tourné vers les ombres immobiles qui pointaient en dessous de celle de la canne. Sa vue n’était pas excellente mais elle en était certaine. Le petit vieux essayait d’attraper un caillou. Triste, ses mains n’accompagnaient plus dans le sable, le rythme rétif de la mer qui venait maintenant lécher la plante de ses pieds granuleux. Le vieil homme avait encore eu un regard pour ses longues jambes, se faisant la réflexion que c’était beaucoup plus joli de segmenter le monde avec ça, qu’avec la ligne terne qu’il avait si souvent sous les yeux. Celle qui happait les bateaux et les soleils pour les régurgiter sous d’autres cieux. -Vous devriez rentrer mon petit, vous allez attraper froid. -Vous ne voulez rien à manger ? Je peux vous apporter les restes du midi. -Non, je mangerai mon poisson, lorsque je l’aurai attrapé. -… -Et puis vous les faites fuir. Que pouvait-elle répondre à cela ? Rien. Pas plus qu’elle ne voulait continuer à empiéter sur son territoire, sur ce bord de mer qui était la dernière place que le monde offrait à ce vieil homme. Elle déplia ses compas hâlés et se redressa en époussetant le sable en grande conversation avec sa peau. Elle en avait entre les orteils, sous ses ongles prune aussi. Ça n’avait pas grande importance. Un mini crabe translucide se glissa dans le terrier creusé par ses orteils, tandis qu’elle commençait à repartir vers le restaurant, tournant le dos à la mer pour épouser les lignes parfaites du chemin en bois qui remontait la colline. -Oh mon petit, il faut vous reproduire, c’est important, vous savez… Elle ne sut pas quoi répondre alors elle se contenta d’avancer, laissant le vieil homme devenir un murmure et la mer une cohorte d’éclats silencieux. Il fallait qu’elle pense à son boulot. Aux tables de six qui allaient se remplir, aux allemands qui ne manqueraient pas de lui faire miroiter Munich pour une nuit à l’arrière d’une berline. S’occuper de clients immatures était déjà suffisamment difficile pour qu’elle ne songe pas en plus à faire des enfants. Elle aurait dû lui dire ça au vieux, elle n’y avait pas pensé. Une autre fois peut-être. La prochaine fois qu’elle irait le voir, lui, sa cohorte de souvenirs délavés et les poissons sans saveur qu’il n’attrapera jamais. Les Italiens étaient partis. L’Allemand, lui, téléphonait un peu plus loin. Il n y avait plus que la vieille qui se dessinait dans l’encadrement de la porte, les mains sur ses hanches larges et sa bouche en cul de poule, fardée d’insultes à l’intention de la jeune tire-au-flanc. La serveuse enfila ses sandales et obéit aux injonctions silencieuses de la matrone. Un peu de sable dégringola de ses cuisses, histoire de. -On a une table de six pour vingt et une heures ce soir. -Ok ! Elle noua un tablier propre à sa taille de serin, se dirigeant lentement vers les cuisines. La vieille femme brisa sa course d’un geste de la main, avant de lui demander : -Au fait, comment va ton père ? -Il va bien je crois, il va bien…
7 mars 2010

Monochrome

Il se tenait là, sur ce parking qui n’était plus tout à fait le même qu’avant. Lui aussi avait changé. C’est que quinze ans de plus ça vous marque un homme, vous savez. Il se tenait là, sous la pluie, fixant le bout de ses chaussures qui n’étaient plus les mêmes non plus. A l’époque il devait sûrement porter de vieilles Baskets usées au possible. Il les avait troquées contre des chaussures classes. Chaussures de mec qui a un peu réussi dans la vie. Chaussures avec le bout qui brille quand le soleil veut bien se prêter au jeu. C’est vrai qu’il y’a toujours de la pluie dans ces histoires. Mais pas une pluie qui trempe jusqu’aux os, non. Juste un voile. Pour le décor. Ce décor qui avait changé aussi. Et si le Parking était toujours à peu près le même, le reste s’était transformé en supérette, en temple refourguant du bonheur sous code barre. Un bloc de béton jaillissant hors du sol, accompagné d’une cohorte de néons poisseux et protégé par des grilles tordues déjà mordorées par la rouille. Quinze ans qu’il venait là tous les après midi, tous les soirs. Spectateur, il avait vu lui. Il avait vu la boite de nuit tomber et les échafaudages se dresser comme des tours de Babel, couvant amoureusement l’enfant chéri du capitalisme qui avait finit par en sortir. Il avait vu le changement s’opérer au dehors comme au-dedans. Parce que oui, c’était une boîte de nuit ici. Avant. Il y venait souvent d’ailleurs. Avant de se prendre quinze ans dans la gueule bien sûr. C’était ici qu’il avait fait sa jeunesse. Et maintenant il attendait. Il attendait qu’elle revienne cette jeunesse. Assis sur un muret en béton, trempé par la pluie, il se sentait comme un petit vieux regardant sa femme. Qui la regarderait en se disant « Elle a changé, mais peut-être que si j’attends alors elle redeviendra comme avant »… Quinze ans qu’il attendait qu’elle redevienne, sa jeunesse. Cette jeunesse qui un jour lui avait indiqué les toilettes d’un geste nonchalant. Oui, c’était tout ce qu’il en avait retenu de ces années. Une femme. Elle ne dansait pas mieux que les autres et n’était même pas vraiment plus belle. Mais il avait aimé sa façon de lui indiquer les toilettes. Elle aussi avait des chaussures ridicules. Des talons compensés avec de la fourrure. C’était moche. Ils avaient discuté après. Ou peut-être pas. Peut-être qu’il s’était juste approché d’elle dans l’intention de lui parler. Elle, elle avait dit « Je reviens » Juste ça. Juste deux mots. Puis elle était sortie, sur ses talons compensés. Moches. Il ne l’avait pas revue ce soir là. Alors il était revenu le lendemain, puis le jour suivant. Puis la semaine suivante et ainsi de suite pour les quinze années qui suivirent. Parce que ses chaussures n’étaient plus les mêmes, l’endroit non plus, mais il avait encore l’espoir qu’elle revienne, qu’elle lui indique de nouveau les toilettes. Il se trouva stupide. Pas de l’attendre non. Stupide de ne pas avoir ressorti sa vieille paire de baskets déglinguées. Comment allait-elle pouvoir le reconnaître sans ça ? Et déjà vingt et une heures. Sa femme et ses gosses devaient l’attendre pour manger. Comme tous les soirs à la même heure en fait ! Une brave femme. Pleine d’amour pour ses enfants et son mari. Lui il avait les fesses trempées, ça allait faire une marque sur le cuir des sièges de la voiture. Pas très important après tout. Son empreinte dans le muret fut bientôt noyée par la pluie. Il la retrouvera demain. Et le jour d’après. Ça non plus ça ne changeait pas. … Vingt-deux heures. Comme tous les soirs à la même heure, elle se tenait là, sur ce parking qui n’était plus tout à fait le même. Elle aussi avait changé. C’est que quinze ans de plus, ça vous marque une femme. Elle se tenait là, dans la nuit, fixant le bout de ses chaussures qui n’étaient plus les mêmes qu’avant…
5 mars 2010

Carcasse, tu trembles?

Il sentait encore l’odeur des fleurs, persistante sous la poussière. Et le rouge, un peu, pas totalement écrasé par les pans de murs tombant un à un avec une rigueur toute militaire. Des Dahlias, des parpaings qui fleurissaient en tremblant et le vacarme assourdissant au dehors. Lui il était toujours enfoncé dans son canapé de cendres en cuir. Un canapé qui tremblait, donnant la réplique à l’hôtel instable qui giguait autour d’eux, menaçant de s’écrouler à chaque instant. Il était calme, les cheveux déjà blanchis par la poussière. Celle là même qu’il goûtait à la surface de son Martini avec un détachement tout british. British il ne l’était pas. D’ailleurs ça n’avait plus d’importance tout ça vu que son pays était entrain de partir en fumée. Que sa patrie se mourait pour une raison qui ne l’intéressait pas. Plus serein qu’un mort, il contempla quelques scories lumineuses se détacher du plafond, sorte de nef kitch’ ou des angelots dégueulaient encore des morceaux de ciel. Ça étincelait avant de crever. Comme tout. Les escaliers menant à la réception de l’hôtel tremblaient aussi, puis fatalement une marche vint en dégringoler une autre, puis une autre avant de mourir aux pieds d’un tapis rouge, déroulé pour la fin du monde. Il n’avait aucune idée du temps qu’allait durer cette fin du monde. Pour l’instant elle entamait la Gnossienne n°5. Bientôt. Oui, mesurer en notes, en blanc et noir, c’était tout ce qu’il pouvait encore faire. Elle, c’était cette pianiste, plus morte que lui et qui jouait en attendant que tout s’arrête. Pianiste de cabaret, chanteuse dans une autre vie. Toujours engoncée dans une robe d’ébène offrant ses omoplates à la poussière et aux regards. De regard il n’y avait plus que le sien. Même s’il ne voyait plus grand chose, vaporeuse qu’elle était entrain de devenir au milieu du tourbillon de poussière soulevé par l’édifice à l’agonie. Il écoutait. Ecoutait ces notes qui supplantaient aisément le bruit des bombes, bien que crevant tout aussi rapidement, sous les doigts pulpeux et poussiéreux de l'exégète. Parfois elle s’arrêtait, saluait les éclats d’obus, les fracas et les décombres attentifs, avant de se remettre à jouer, accompagnant les paysages qui se dessinaient en filigrane, là où jadis se tenaient des murs. Un arbre noir et calciné tendit ses branches noueuses vers la scène, mais creva salement avant de l’atteindre. La réception s’effondra dans un vacarme insignifiant et les doigts de la pianiste entamèrent la gnossienne n°6. Les escaliers applaudirent et disparurent dans le sol, cessant de suivre la course effrénée et calculée de ses mains effilées. Ses doigts se pourchassaient sur le champ de bataille bi-colore avec une maestria démente. Ses phalanges obéissaient, sacrifiées pour la musique. Tout crevait autour d’eux. La poussière enfantait la poussière et les ruines se drapaient d’amertume. Un de ses escarpins roula sous le piano. Elle n’y prêta pas attention. L’autre le rejoignit dans la même indifférence. Puis tout s’arrêta d’un coup sec. La musique, la mort, la fin du monde. On entendait plus que les bruits de la vie disloquée au dehors et lui, qui buvait encore la cendre au fond de son verre. Il finit toutefois par se relever, quittant à regret son ombre encore ancrée dans le canapé ; abandonnant son double de cuir pour claudiquer jusqu'à la scène ou tout du moins ce qu’il en restait. Les pans de murs branlants ne cherchèrent même pas à se mettre en travers de sa route, le plafond vacilla mais acquiesça silencieusement. Arrivé, il posa son verre sur le piano qui se découpait comme un animal en contre-jour. Il ramassa un escarpin mais ne sut quoi en faire. Alors il le laissa avec l’autre, dans la même indifférence. Il demanda ensuite à la pianiste, d’une voix encrassée : -Rejouez la première, encore une fois… Elle ne dit rien. Le reste parlait pour elle. Au dehors les bombes, au-dedans l’émoi. Et tandis qu’elle se remettait à jouer, au-dessus de leurs têtes les explosions reprirent de plus belle.
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4 mars 2010

And the stars look very different today

Ils s’étaient longuement regardé ce matin là. Elle avait les cheveux défaits et buvait son café dans une tasse en porcelaine fissurée au bord. Lui il avait un vieux jogging sale et les joues épineuses et clairsemées. Sur la table quelques tranches de pain sec agonisaient lentement, dissimulant mal les traces calcinées de la cafetière, ancrées dans le bois. Elle l’avait regardé donc. Lui aussi. Longuement, comme déjà-dit. Finalement elle avait pensé plus rapidement, concluant avant lui qu’ils n’avaient plus rien à se dire. Que les silences entre eux étaient aussi désolants que ce creux vide distançant leur deux carcasses endormies au cœur de la nuit. Aussi affligeant que ses mains qu’il posait parfois sur ses hanches et qui ne lui inspiraient plus grand chose. Il allait dire quelque chose. Leurs intentions se croisèrent avant de mourir sur le pain. Leurs regards se séparèrent brutalement. Gênés. Elle se mit donc à dégoiser avec le motif fleuri de la tapisserie, tandis que lui se bornait à regarder par la fenêtre, tartinant silencieusement les bruits de la rue, comme une confiture poisseuse. Ça faisait combien de temps qu’il n’avait plus envie d’elle du soir au matin ? Et elle, ça faisait combien de temps qu’elle n’avait, juste plus envie de tenir sa main contre sa cuisse en lui racontant sa journée ? Parfois leurs regards se croisaient de nouveau sans mot dire, se contournant pudiquement pour ne pas laisser entrevoir le malaise. Alors ils intervertissaient, elle regardait ce mec courir dans la rue, comptant les gouttelettes de sueurs sur son front, et lui regardait la tapisserie que sa belle-mère avait choisie. Et force était de constater que celle ci était à l’image de la bonne femme : Austère, moche quand on la regardait bien, et même carrément pourrie aux bords. Leurs mains ne se touchaient plus sur la table, même par erreur. Ils avaient appris à ne plus désirer la même chose à ne plus avoir les mêmes envies au même moment. Longtemps oui, que sa main a elle ne se refermait plus sur la sienne, elle même refermée sur la bouteille de lait. Et Maintenant elle lui tournait le dos, le buste penché en avant par la fenêtre, comme si elle cherchait à tomber. Et combien de temps qu’il ne regardait plus ses fesses rebondies, déborder de sa petite culotte usée jusqu’aux coutures ? C’était un truc qu’il ne comptait plus, comme les cigarettes, comme le nombre de fois ou il s’était endormi en pensant être seul dans cet immense lit. C’était devenu une sale habitude qu’il tartinait par-dessus la confiture recouvrant elle-même les bruits de la rue. Elle finit par se défenestrer vers l’intérieur, s’étirant sans grâce pour chasser les vestiges de paresse, décombres d’une nuit sans ébats, traînant encore aux coins de ses yeux et luttant avec les effets trop lents du café. Ils ne s’étaient pas parlé. Ils ne se parlaient plus. Rarement. Mais cette fois fit exception. Lentement elle se tourna dans sa direction, rajustant la bretelle de son tee-shirt dix fois trop grand qui dégringolait sur ses fesses. Et en posant son regard vert sur lui, son regard qu’il aimait bien, avant, elle finit par dire comme ça, comme on dit « bonjour », comme on dit « passe-moi le beurre, mon amour » : -Je crois qu’on devrait se marier. Il l’avait longuement regardée. Elle, sa mine défaite et son visage un peu moins beau qu’au premier jour. Elle, ses cheveux ternes et la chair qui s’installait paisiblement sur son ventre, formant un petit renflement qu’il connaissait par cœur. Il n’avait pas su quoi dire. Alors il avait juste dit : -D’accord…
4 mars 2010

Rien qu'une seconde en papier

Il aimait bien penser à elle. Dans ces moments il se sentait jeune à nouveau. Quand il repensait à elle, à ses cuisses lourdes et à son nez, il retrouvait ses vingt ans et quelque chose qui ressemblait à la fougue qu’il devait avoir à l’époque et qu’il avait depuis bien longtemps remisé au placard avec ses chemises improbables et ses souvenirs brinquebalants. Il se sentait fou quand elle venait toquer au carreau de ses lunettes comme un peu de buée rassérénant. Un jeune chien dément qui se mettait soudainement à courir dans sa chambre, rebondissant sur le lit en chantant de vieilles chansons aux paroles jamais vraiment oubliées. Quand il repensait à elle, à sa poitrine lourde et ses joues roses, il se revoyait immanquablement lui sortir de beaux discours alcoolisés. Lui parler, comme il n’avait jamais parlé à une femme. Il fallait qu’il fasse quelque chose. Qu’il parte d’ici pour la retrouver. Il fallait qu’il remplisse sa valise, qu’il y glisse quelques chemises sentant la naphtaline et un ou deux souvenirs froissés. C’est bien les souvenirs pour échanger devant un café. Pour se retrouver et se dire que malgré les années, le temps et les rides, et bien rien n’a vraiment changé. Il avait l’air d’un vieux con, comme ça, en caleçon mais il s’en foutait. Il avait l’air d’un vieux con à faire semblant de jouer de la guitare, mais il aimait ça. Parce que quand il repensait à elle, à sa façon de passer sa main sur son ventre en disant « Et ton muscle, Adonis ? » Et bien il oubliait tout le reste. Pour quelques mots. Pour rien. Oui, fallait qu’il parte, vraiment. Sa valise était neuve, sa valise était pleine. Il avait envie de la retrouver. Parce que. Parce que personne ne lui avait jamais demandé de cigarette comme elle l’avait fait. Et parce que personne ne s’était laissé allumer comme ça. Jamais. C’était un peu bête comme souvenir. Juste un « Vous avez du feu ? » Et une étincelle dans ses prunelles faisant écho à celle au bout de sa tige à cancer. Il était un peu poète quand il y repensait. Parce qu’elle aimait ses mots. Enfin, c’est ce qu’elle disait. Il allait partir, vraiment. Sa valise en main. Il ne savait même pas par ou commencer à chercher. Mais il le fallait. Parce qu’on ne peut pas oublier quelqu’un qui est parti comme ça du jour au lendemain. Alors bien sûr c’était bête d’avoir pensé qu’il aurait pu faire sa vie avec elle. Que pour une cigarette, quelques étincelles et bien leurs vies auraient pu s’imbriquer l’une dans l’autre, rester engluées jusqu'à ce que l’univers ferme la porte et jette la clef. Juste, comme ça. Oui c’était bête. Mais il avait envie de savoir. Savoir pourquoi elle était partie du jour au lendemain en embarquant son paquet de clopes, ses souvenirs et en lui laissant quelques fringues parfumées. Un chemisier, un briquet sans gaz et des bas filés. Il avait mis tout ça dans sa valise, sous ses fringues à lui. Il voulait savoir, lui montrer. Lui montrer qu’il avait tout gardé, jusqu’au moindre souvenir délavé. C’était bête d’avoir gardé tout ça. D’avoir caché à sa femme pendant des années. Parce que oui, il était marié tient. D’ailleurs c’était sa femme qu’il entendait rentrer. Qu’il regarda se poster dans l’encadrement de la porte en lui souriant. Une femme qu’il avait peut-être aimé un jour. Non, une femme qu’il aimait. Qu’il aimait vraiment. Elle avait la poitrine lourde et les joues blanches. Elle souriait. Etonnée de le voir encore avec une valise dans la main. Une valise neuve en plus. -Tu va encore jeter des fringues ? -Oui, oui… -Tu devrais utiliser des sacs plastiques au lieu d’acheter des valises à chaque fois, mon chéri ! -Je sais, je sais… Il passa à côté d’elle et l’embrassa. Oui, il aimait encore bien l’embrasser aussi. Sa main tremblait légèrement et il bazarda sa valise dans la poubelle postée en trompe-la-mort devant leur maison. En rentrant il frappa mollement dans quelques cailloux qui vinrent crever sur le paillasson. Un paillasson avec marqué « Bienvenu dans la maison du bonheur » ou quelque chose comme ça. En rentrant il se posta devant le miroir du living, un miroir encadré de photos de lui, et de sa femme. Cette femme qui l’aimait tant. Il passa mollement sa main sur son ventre, flasque aujourd’hui : -Et ton Muscle, Adonis… … Comme tout le reste, ne ressemble plus à grand chose.
2 mars 2010

Quand les avions en papier ne partent plus au vent

-Offrez-moi une corde pour Noël ! Voilà ce que j’écrirais en lettres capitales dans ma prochaine lettre à mes petits enfants, même si à l’évidence ils ne lisent plus les lettres venant de moi depuis une éternité. Je le sais. Sinon ils seraient venus lorsque je leur ai annoncé ma mort. Ou peut-être l’ont ils fêté sans moi ? Je devrais leur demander. J’aime encore bien écrire vous savez, même si ma main ne soutient plus mon trait jusqu’au bout. Ça m’occupe quand j’en ai assez de regarder les autres pensionnaires. Ceux qui se font dessus ou celles qui ont la gorge qui dégoulinent en plis flasques sur le col étroit de leur chemisier. Ça m’occupe quand on m’éloigne de ma fenêtre, quand on me dit qu’il ne faut plus que je regarde ce bout de soleil. Que je suis trop vieux pour ça. « Tenez monsieur, regardez plutôt le mur en crépi ! Là, vous voyez comme c’est joli ? » C’est vrai qu’il est joli ce mur. Je devrais en parler à mes petits enfants, même si à l’évidence ils ne lisent plus les lettres venant de moi depuis une éternité. Je le sais. Sinon ils seraient venus lorsque je leur ai dit vouloir leur présenter leur nouvelle grand-mère. C’était une vieille meneuse de revue de l’étage du dessus. Et si aujourd’hui elle ne menait plus rien, elle avait eu son quart d’heure de gloire dans les années 50. Il m’arrive encore d’imaginer sous les varices et les tumescences, la beauté que pouvaient avoir ses gigots, aujourd’hui plus très frais. Un sacré morceau que ça devait être. Aujourd’hui elle est comme les autres. Elle flotte de manière désordonnée dans le bouillon qu’on nous sert au repas du soir, vers 17h. Parfois elle est entourée de grumeaux ressemblant au crépi. Je n’aime pas vraiment cette nourriture. Je devrais en parler à mes petits enfants, même si à l’évidence ils ne lisent plus les lettres venant de moi depuis une éternité. Je le sais. Sinon ils auraient appelé lorsque je leur ai dit qu’ils n’étaient pas vraiment mes petits-enfants. Cette étudiante non plus n’est pas mon enfant. Mais elle aime encore me faire la bise tous les jours, avant de me torcher et de me demander une histoire. « Racontez-moi » qu’elle dit. Et moi je raconte. Vous savez que mes enfants ne m’ont jamais demandé ça ? Pourtant j’en ai moi des histoires à raconter. J’aime encore bien conter, même si ma pensée ne soutient plus ma voix jusqu’au bout. Parfois elle passe un doigt sur sa poitrine et me dit qu’elle aime bien les hommes comme moi. Que les jeunes de son âge sont insipides et tristes. Et moi je dors. Dormir c’est encore ce qu’on à de mieux à faire entre chaque repas. On attend que nos enfants ne viennent pas nous voir et on dort. Parfois la jeune étudiante va me promener, elle me raconte sa vie, et moi je fais semblant d’écouter. Et puis je lui parle de mes petits-enfants. Elle ne fait pas semblant d’écouter. Parfois elle me fait la lecture. Sa voix n’est pas très jolie et elle lit trop rapidement. Je ne comprends pas tout. Alors je m’endors. Quand je me réveille, je suis installé devant la fenêtre, devant mon coin de soleil à l’horizon. Elle est gentille, elle est la seule à ne pas imposer ces murs blancs à la vue de mon esprit. Je l’aime bien. Peut-être qu’avec trente ans de moins, j’aurais pu séduire sa mère. Il est dix-huit heures, la nuit ne fait que commencer ; alors j’écris encore une lettre à mes petits-enfants, dans l’espoir qu’un jour ils me répondent. Puis j’irais la poser avec toutes les autres. Celles de ma meneuse de revue, de mon étudiante et celles de mon fils et de ma belle-fille. Ils m’écrivent à moi, leur père, même si à l’évidence je ne lis plus les lettres venant d’eux depuis une éternité. Ils le savent, sinon je serais venu lorsqu’ils m’ont annoncé la mort de mes petits-enfants. -Offrez-moi un infarctus ! Voilà ce que j’écrirais en lettres capitales dans ma prochaine lettre à mes petits enfants…
1 mars 2010

With your feet on the air and your head on the ground

-Qu’est ce que tu vois devant toi ? -Un mur, et toi ? -Un mur. -… -Et sur ta droite ? -Un mur aussi. -Pas mieux. -… -Et derrière toi ? Qu’est ce que tu vois ? -Ton dos. -Mon dos ? -Oui ton dos, ta nuque, tes épaules, tes omoplates… -Tu le trouves comment mon dos ? -Joli. -Et Qu’est ce que tu vois au-dessus de toi ? -La mer. -La mer ? T’es bête, ça s’peut pas. -Alors c’est le ciel, ou un couvercle de la même couleur. -Peint en bleu ciel ? -Oui. -Ça existe pas la peinture bleu-ciel. -Alors de la peinture bleue avec du plâtre dedans. -Ça fait beaucoup de peinture non ? -Oui. -Et beaucoup de plâtre. -Et beaucoup de plâtre. -C’était quoi cet écho ? -C’était moi. -… -… -Qu’est ce que tu vois sur ta gauche ? -Un mur et toi ? -Pas mieux. -… -J’sens plus ma main. -Moi non plus. -Qu’est ce qu’on peut faire ? -Sortir. -On a déjà essayé, on ne peut pas sortir d’ici. -Ré-essayer alors. -Pourquoi faire ? -Pour faire. -J’ai plus envie d’essayer. J’suis fatiguée et j’ai froid. -Si j’essaye pas, je ne saurais pas si c’est la mer. -C’est pas la mer, c’est le ciel. -Ou un couvercle de la même couleur. -Ça peut pas être un couvercle. -Pourquoi ? -Ça s’peut pas, c’est tout. -Toutes les boîtes ont un couvercle. -Et la nuit tous les chats sont gris ? -Non. -Quoi ? -Seulement les chats gris. -… -… -Et qu’est ce que tu… -Rien. -Et maintenant ? -Toujours rien. -J’ai froid. -Je vais encore essayer. -Non, je veux plus qu’on essaye. -Pourquoi pas ? -Parce que ça ne sert à rien. Tu le sais très bien. -… -Oui tu le sais, alors reste là, reste avec moi. -Attendre ? -Oui attendre, j’ai plus envie de me fatiguer, j’veux rester là, contre ton dos. -Pour quoi faire ? -Pour rien. Pour profiter. Profiter de ne pas encore avoir trop froid, pas encore trop peur. Profiter de ne pas encore avoir trop faim, et de pouvoir encore te donner un peu de chaleur. -Attendre… -Oui, juste là. Avec moi. -Et après on dort ? -Et après on dort.
28 février 2010

There is Time to kill today

Je vous attends en bas de votre immeuble, ému par les quelques morceaux de vous qu’il m’arrive encore d’apercevoir parfois derrière vos rideaux opaques. Des morceaux roses derrière un voile noir. C’est joli. Envoûtant aussi peut-être. Même la crasse de vos vitres sales ne saurait atténuer le grain de votre peau. Vous n’êtes pas très regardante sur le ménage hein ! Parfois il m’arrive d’imaginer des piles d’assiettes de porcelaine marquées au bord par la trace volubiles de votre rouge à lèvre. Dehors il ne pleut pas. Nous ne sommes pas dans un film romantique et d’ailleurs je ne vais pas crier à votre fenêtre pour vous demander de descendre. Alors j’attends. Et si le vent froid me ceint la gorge et les yeux, cela ne me gène pas. Il ne pleut pas. Entre deux immeubles un immense panneau publicitaire renvoi au cœur de la soirée des promotions imbattables pour améliorer la condition humaine. J’aimerais améliorer la votre. Peut-être qu’il me faudrait écrire votre nom sur tous les murs, de votre immeuble jusqu’à votre travail ? Je suis sur que cela vous ferait sourire. Le temps passe. Je sursaute à chaque fois que l’épaisse porte d’immeuble s’ouvre, et enrage chaque fois que ce n’est pas vous. Votre vieille voisine. Celle qui a dans les yeux la lassitude de la femme qui un jour s’est su belle. Comme si elle vous reprochait d’être la cause même des varices serpentant le long de sa jambe de bois. Il y a aussi votre voisin. Celui qui vous écrit pour vous demander d’être moins enthousiaste lorsque vous hébergez des hommes au creux de vos reins. Il aimerait bien être à leur place. Je le sais. Et puis le concierge, celui qui sort les poubelles en se rappelant qu’un jour il aurait pu être acteur. Il y met tout son cœur pourtant, même s’il n’a plus très bien envie de sourire. Des voitures s’arrêtent, des couples à la géométrie variable se font et se défont dans la culpabilité la plus totale. Des enfants font rebondir une balle sur un mur avant de se faire jeter par le concierge. Il y met tout son cœur et il ne sourit toujours pas. Et puis vous finissez pas sortir. Emmitouflée dans votre manteau de quotidien sordide effiloché aux extrémités. Vous n’avez probablement pas grand chose en dessous, moitié nue et moitié réveillée par votre besoin impérieux de fumer. Je tourne et retourne mon briquet dans ma poche, l’écrase comme mon envie de venir vous allumer. Je me retiens, ivre d’une joie silencieuse. Une éclaircie soudaine qui change la couleur des murs. Je ne vous emboîte pas le pas immédiatement. J’attends que votre foulée vous ait porté jusqu’à l’angle de la rue. Compte quelques secondes. Une vingtaine tout au plus, avant de me décider à vous suivre. J’ai toujours cette angoisse au moment de tourner à l’angle. La peur de vous voir plantée devant moi sans doutes. Mais ça n’arrive jamais. Vous êtes loin déjà. Votre silhouette glisse entre les lumières crues des lampadaires. Vos cernes baillent de la fatigue et vos doigts tremblent, cherchent à combler la place laissée vide par les cigarettes que vous n’avez pas. Je ne vois pas tout ça mais je le devine. D’ici vous n’êtes qu’une forme exquise qui se découpe au milieu de nul part. Celle qu’il manque pour combler les vides. Je vous laisse vous fondre au milieu d’une foule compacte, amassée devant un théâtre aux portes closes. Un homme mal rasé me bouscule. Je perds le virage accusé de vos épaules. Puis le retrouve derrière deux silhouettes clouées l’une à l’autre par des lèvres bifides. Vous, vous arrêtez au milieu de la rue, sous la lueur blafarde et anémiée d’un néon en fin de vie. L’échange doit être courtois mais pas dénué de mauvaise intentions. Le vendeur essaye de savoir ce qu’il y a sous votre manteau. Ils s’y essayent tous. D’ici je ne vois que votre silhouette qui s’estompe dans la fumée. C’est vaporeux. Comme dans un film. C’est joli. Puis soudain vous vous tournez vers moi, vous me regardez longuement et je me sens défaillir. Je crois que vous essayez de me dire quelque chose, vous soliloquez avec de grands gestes des bras et moi je ne vous entends pas. Peut-être devriez vous vous rapprocher ? Vous le faites finalement mais vous tirez cet homme par le bras. Monsieur est votre petit-ami ? Non ? Monsieur est policier ? Oh très bien, j’ai enfin compris ce que vous essayez de me dire. Je bouffe en sens arrière les quelques pas hasardés précédemment sur la chaussée. Ceux là même qui faisaient écho aux vôtres. Je les compte silencieusement. Quarante sept, quarante huit, quarante neuf… cinquante. Cinquante. Je me tiens précisément à cinquante mètres de vous. Comme ordonné dans l’injonction restrictive. J’en profite, bientôt je n’aurais plus le droit d’être dans la même ville. Exilé à des centaines de kilomètres de vous. Mais qu’importe, des centaines, des milliers de kilomètres même, ne sauraient m’empêcher de vous suivre.
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L'As mène et l'émoi passe
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