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L'As mène et l'émoi passe
26 février 2010

S'habituer à des printemps sans hirondelles

Tous les jours des couleurs pareilles à la veille ; la lassitude d’un reflet oxydé dans une bouteille de Sauternes. Non. Non. La lassitude oxydée dans une bouteille de bière bon marché. Le Sauternes, le Dom Pérignon, il laisse ça aux héroïnes de roman, celles qui longent la côte en Cadillac pour aller voir le Sud. Celles qui ont dans les mains les coups de reins des marins et sur le nez une paire de lunettes leur conférant indubitablement cet air rétrograde de Jackie Kennedy ; au temps ou elle ne portait pas le deuil comme un tailleur haute-couture. D’ailleurs il sait très bien qu’il n y a rien au sud. Ni a l’Ouest d’ailleurs. De tous coté il n’a que la poussière à qui parler. Au-dessus il n y a que des néons qui en cette fin d’hiver ont cessé de balbutier leur lumière rassurante. En bas il n’y a que le niveau de sa bière descendant par à-coups successifs. Et ça fait longtemps d’ailleurs qu’il n’a pas rencontré quelqu’un. Qu’il ne s’est pas juste épris d’une petite brune en stiletos vernis, dans les couloirs du métro. Longtemps qu’il ne regarde plus ces femmes aux jambes dentelées, en été comme en automne. Au printemps comme en hiver. Longtemps qu’il ne regarde plus leurs bourrelets pigeonner à l’ascendance de leurs désirs bas-résillés. Combien de temps qu’il ne regardait plus la serveuse ? Et combien de temps qu’elle ne le regardait plus ? A grand renfort de bière et de lampées de temps éculés, il s’était fondu dans le décor. Sa montre indique dix sept heures et une virgule de bière sur la nappe commence à ressembler à un « t » qui lui même finira par ressembler à ces croix qui peuplent les cimetières et qu’on ne dénombre plus. A l’angle de la rue une femme sort pieds nus du métro. Ses jambes couleur sable organique viennent paisiblement obstruer sa vue et les reflux salés qui avec insistance cherchent à se mêler au houblon un peu tiède qui végètent dans son verre. Bientôt une autre lui emboîte le pas, parle du carrelage froid lorsqu’elle se met à genoux pour se caresser la glotte du bout des doigts. Elles ne le voient pas. Elles ne voient même pas l’homme qui achevé avant la fin du jour, consacre un lampadaire d’un jet d’urine fier et libérateur. Ils ne sont que figurants qui figurent et lui s’allume une cigarette. C’est convenu, c’est une habitude qui va de paire avec la bière. La flammèche claque sèchement avant que son tube cancérigène ne s’embrase, lui rappelant avec cynisme qu’il vient de perdre dix minutes de vie. Qu’en dix minutes il aurait pu demander le numéro de la serveuse ou proposer un doigt à la demoiselle, en tout bien toute horreur. Et la pluie commence à tomber sur les toits. Il y a toujours de la pluie dans ses journées interminables. Une sorte de convention futile, comme la cigarette. Lui il ne fait rien de ses journées. Rien que de boire la bière et respirer du vide, s’en remplir les poumons comme le font les gosses en été. Jusqu'à s’en empourprer et recracher violemment. Il ne recrache jamais. Il déglutit silencieusement. L’habitude. Il écoute. -Je l’ai giflé, tu sais… -Si je ne mange pas pendant une semaine peut-être que… -Qu’est ce que je vous sers ? -Une bière ! -Juste un doigt cette fois et peut être… -J’ai pas pu me retenir. -Ca sera tout ? -Oui, mais je recommencerais, je le sais. Ils sont autant de désastres convaincus, d’acteurs aux rôles écrits pour d’autres. Ils sont des statues d’absurdités qui se promènent dans les rues, pendant que lui se demande quel rôle jouer dans tout ça. La serveuse ne lui demande pas ce qu’il veut. Elle dépose une bière machinalement devant lui ; pendant que d’autres figurants rentrent dans le café. Une femme glisse une caresse à l’homme qu’elle accompagne, elle tient un appareil photo contre sa poitrine molle. Il l’embrasse, enfouit son visage dans son cou. Le scénario parle de gémissements et de respirations saccadées. Lui se perd dans sa bière, cherche les didascalies qui disent « L’habitué se souvient qu’on peut s’endormir en comptant les battements de cœur de l’autre » mais ne trouve rien. Il improvise, soupire longuement et repense au Sud ou à l’Ouest peut être. Il improvise un air de mélancolie sur la guitare qu’il n’a pas et dont il n’a d’ailleurs jamais su jouer. Il se souvient la mer qui était haute et agitée, plus insoumise qu’élégante. Le sable. Du sable à perte de vue. Des étendues de pierres et du vin. Non. Toujours pas de vin. Jamais que de la bière bon marché. D’ailleurs il ne se souvient pas vraiment, c’est encore de l’improvisation. Une femme s’enroule dans son écharpe de gris, se prépare à affronter le ciel de plomb. Le scénario dit qu’il doit lui accorder un regard, qu’elle apporte quelque chose à l’atmosphère, avec ses lunettes, ses jambes halées et son décolleté incendiaire. Il ne le fait pas. Ses yeux sont censés ne pas en croire ce qu’ils voient. Il s’en fout. Il ne se distingue plus vraiment de l’automate. Celui aux rouages complexes et rouillés qui oublié dans un coin s’adonne encore aux même pitreries, des années après. Celui qui s’est entiché de la machiniste. Celle aux doigts véloces et aux yeux saturés. C’était pourtant il y a une éternité. Ses dents claquent et le violet commence à revenir dans le ciel. Faut qu’il rentre. Qu’il arrête de se cingler les yeux avec ces projecteurs lampadaires. Faut qu’il se redresse, qu’il arrête de tituber et de penser à la metteur en scène. Il a une correspondance à prendre, des escaliers à monter. Le scénario dit qu’il devait se jeter sous le métro. Il a encore changé les règles du jeu. Il sait que tout ça va devenir détestable et obscène. Mais il ne sait pas quoi faire d’autre que de continuer à abattre les jours qui passent, comme des arbres. Alors il reste là et il attend.
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Commentaires
S
Puissamment étrange et délicatement ciselé. Comme une pellicule qu'on révèle dans un bac de bière fluide et dont les levures continuent à gigoter sur l'image même après la lecture.<br /> <br /> Je suis tout à la fois dérouté et emporté... ces énigmes que tu poses sans vraiment les résoudre et sans non plus nier que les réponses seraient de vieux clichés.<br /> <br /> Ça m'évoque un patchwork de couleurs qui oscillent entre le gris morne et l'ocre pétillant.<br /> Et aussi la vision abrutie d'un type qu'on a oublié sur le bord de la vie...<br /> <br /> Puissant Lys ! Puissant ! Définitivement.
L'As mène et l'émoi passe
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